Absence d’une autorité de régulation au niveau mondial
Force est de constater qu’il n’existe au niveau mondial, aucune autorité jouant ce rôle et ce n’est pas demain qu’il faut espérer en avoir. Car, la disparité entre les États sur ce qui est permis et interdit en matière de liberté d’expression est très grande. Si cette liberté peut être réglementée dans nombre de pays, y compris en Guinée, dans d’autres pays en revanche, les États-Unis d’Amérique en particulier, il est strictement interdit au législateur, en vertu du Premier amendement de légiférer en matière de liberté d’expression pour la simple raison que cette liberté est supra constitutionnelle, donc placée au-dessus de la constitution. Il n’est donc pas envisageable que les États-Unis, pionniers de l’internet, puissent faire partie d’un accord international de régulation de la liberté d’expression sur ce réseau. Face à l’absence d’une régulation internationale par voie interétatique, c’est vers l’autorégulation des géants de l’internet lui-même et la législation de chaque pays qu’il convient de se tourner.
GAFAM, les limites de l’autorégulation
Les géants de l’internet sont connus de tous. Ces sont les GAFAM (Google, Apple, Facebook , Amazon et Microsoft). La tradition libérale qui prévaut en matière de liberté d’expression sur internet voudrait que la régulation des plateformes de communication sur internet relève de la responsabilité des GAFAM. Il est leur est demandé de faire l’autorégulation sur un réseau que d’autres qualifient de « Far West ». Malgré les efforts de modération des GAFAM par l’utilisation de l’intelligence artificielle par exemple pour repérer les discours haineux sur les réseaux, ils sont encore loin d’offrir aux utilisateurs de ces réseaux le niveau de sécurité optimale. Une ex-employée de Facebook, Frances Haugen, devenue lanceuse d’alerte a déclaré ceci devant les députés français « Les produits de Facebook nuisent aux enfants, attisent les divisions et affaiblissent les démocraties.L’entreprise sait comment rendre ces activités plus sûres, mais elle ne le fera pas, parce qu’elle met toujours ses profits colossaux devant la sécurité de ses usagers ».C’est pour cette raison qu’Arthur Messaud, juriste de l’association La Quadrature du Net estime que « Laisser aux géants de l’internet la mission de réguler leurs contenus est à la fois inefficace et liberticide ».
Intervention étatique, une nécessité forte
Face à l’absence d’un cadre international de régulation de l’internet et aux limites des GAFAM dans l’autorégulation de leurs propres plates formes de communication, il revient à chaque Etat souverain comme la Guinée, d’assumer les missions régaliennes qui sont les siennes, en imposant à travers des réglementations appropriées, un meilleur équilibre entre la liberté d’expression sur les réseaux sociaux utilisés sur son territoire et la protection de la vie privée des personnes.
Sur le plan répressif, la Guinée dispose d’une loi adéquate. Il s’agit de la loi L/2016/037/AN relative à la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel. L’article 44 de cette loi prévoit que « Lorsque la divulgation des données à caractère personnel sans autorisation de l’intéressé ou de l’autorité compétente porte atteinte à la considération, à la dignité, à l’honneur l’intéressé ou à l’intimité de sa vie privée, l’auteur de l’infraction, sera au même titre que le complice, puni d’un emprisonnement de deux à dix ans et d’une amende de 100 000 000 à 400 000 000 GNF ou de l’une de ces deux peines seulement. Les mêmes peines sont applicables à la tentative de cette infraction. La victime ou ses ayants droit pourront, en outre, engager une action civile (dommages-intérêts) pour la réparation du préjudice subi. »
Par ailleurs, c’est sur le plan de la prévention des atteintes à la vie privée sur les réseaux sociaux que la réglementation nationale est lacunaire. Si la répression permet de punir sévèrement les auteurs des contenus illicites au regard de la loi nationale, elle n’empêche pas le mal, une fois réalisé, de produire ses effets. Très souvent, la répression arrive alors que la réputation des personnes est déjà altérée sur la toile à cause de la circulation sans limites du contenu illicite.
Il est donc urgent que l’Etat mette en place un cadre robuste de prévention des infractions par voie d’internet. Cette prévention peut se faire dans deux directions. La première est la sensibilisation des utilisateurs des réseaux sociaux sur les risques pénaux inhérents à l’usage inapproprié de ces réseaux. La seconde direction est la collaboration avec les GAFAM dans le but d’obtenir l’identité électronique de l’auteur d’une infraction sur internet et de faire cesser dans l’immédiat une infraction en cours de réalisation, notamment par le retrait du contenu diffusé.
Mais pour un meilleur arbitrage entre la liberté d’expression et la protection de la vie privée, il est fondamental que la collaboration avec les GAFAM soit réservée aux seuls magistrats. Ceci, pour éviter toute démarche tendant vers la censure des internautes. Dernier point sur la prévention des infractions commises sur les réseaux sociaux, il sera d’une très grande utilité qu’à l’image de la loi française du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, qu’on mette en place en Guinée, sous l’autorité de la Haute Autorité de la Communication (HAC), un Observatoire pour assurer le suivi, l’analyse et l’évolution des contenus qui affectent la vie privée des personnes.
Youssouf Sylla, juriste
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Last modified: 9 décembre 2021