Chassez le naturel, il revient au galop. Alors que l’on clame tous les jours la refondation de l’Etat guinéen, une affaire au parfum d’abus de pouvoir et de détournement mine la transition. La société américaine dénommée Catalyst Business Solutions présente en Guinée depuis 2008 a la tête dans l’engrenage. Les nouvelles autorités lui retirent son contrat obtenu régulièrement suite à un appel d’offres international lancé en 2017 pour le recrutement d’un nouvel opérateur pour la mise en œuvre et la gestion du BESC (Bordereau électronique de suivi des cargaisons). A l’origine, une correspondance dénonçant ladite convention en date du 18 octobre 2022. Tout est parti d’une lettre signée du ministre secrétaire général de la présidence de la République colonel Amara Camara adressée au Premier ministre Dr Bernard Goumou pour déclarer « nuls et nul effet » la convention et son avenant. Motif invoqué : « plusieurs irrégularités constatées dans l’attribution du marché à Catalyst sur la convention portant mise en œuvre du BESC et son avenant ». Le colonel dit s’appuyer sur le rapport de l’ARMP rendu le 9 novembre 2018 qui réclame la reprise de la procédure et ajoute que le ministre de l’Economie de l’époque [Mamadi Camara] avait dénoncé « le fait que la convention n’a pas été soumise à son approbation ».
Les faits. Installée dans plus de 25 pays en Afrique et au Moyen Orient, la société Catalyst soumissionne à un appel d’offres international pour le recrutement d’un nouveau BESC en Guinée. Sans surprise, elle est recrutée comme opérateur officiel en août 2018, signe le contrat avec le Conseil Guinéen des chargeurs de Guinée (CGC) le 28 septembre pour une durée initiale de 5 ans (jusqu’en octobre 2023) qui sera finalement prolongée en 2020 pour 3 ans grâce à un avenant au contrat et démarre ses activités un mois après.
Ses concurrents, non contents d’avoir perdu la face, engagent la lutte. La société ATPMS, ancien opérateur demande à l’ARMP (Autorité de Régulation des marchés publics) d’annuler l’appel d’offres et le contrat signé avec Catalyst. Ce que la Cour suprême va rejeter dans ses deux arrêts rendus en 2019 et son arrêt rendu en 2023. Le Ministre des Finances de l’époque finit par avaliser le contrat de Catalyst le 1er août 2019 lorsque les revenus du BESC sont officiellement répartis par l’arrêté conjoint n°A/5032/MET/MEF.
En mai 2022, l’ARMP qui ne s’avoue pas vaincue publie un 2è rapport et demande à l’IGF de se charger de l’audit. Cette fois, les conclusions approuvent l’efficacité financière du contrat de Catalyst pour la Guinée et recommandent qu’elle (la société) continue jusqu’au terme de son contrat. Se suivent ensuite deux autres audits du Ministère des Transports et du CGC. Tous les deux s’accordent sur la solidité de Catalyst. En court d’arguments, le ministre des Transports Félix Lamah force la porte en se basant sur les arguments du 2è rapport de l’ARMP pour résilier le contrat. C’était le 15 février dernier.
Alors qu’une note du ministre de l’Economie et des finances Moussa Cissé, parcourue par Mediaguinee -jamais officialisée- dit tout le contraire.
Dans ce courrier, le ministre qui répondait à son collègue des Transports avait balayé tous les arguments développés. Lui recommandant « d’invoquer plutôt des motifs d’intérêt général pour pouvoir résilier la convention liant Catalyst au conseil guinéen des chargeurs et cette résiliation ne prendra fin que le 30 juin 2023 ».
Contre toute attente, le même ministre revient -l’on pourrait ainsi dire- sur sa décision et recommande la résiliation immédiate de ladite convention. Qu’est-ce qui a pu bien se passer entre-temps ? Bien malin qui y répondra.
Le 28 février 2023, Félix Lamah qui écrit au ministre de l’Economie demande « une dérogation pour une durée d’une année en vue de la gestion provisoire du BESC par l’entreprise System First Guinée SAU (SFG-SAU) en attendant le lancement d’un avis d’appel à concurrence conformément au code des marchés publics ». Cette société a été créée le 11 novembre 2022 à Conakry. Pourquoi une telle précipitation ? Pourquoi une entente directe ? Qui se cache derrière cette société ?
Qui a intérêt qu’on résilie le contrat de Catalyst?
L’on est à bien de se poser la question. Car le ministre des Transports qui demande en plus que les agents maritimes en Guinée arrêtent de payer la redevance du BESC sur le compte bancaire officiel de règlement ouvert depuis 2013 à la BCRG (Banque centrale de la République de Guinée), soutient en même temps le paiement sur le compte bancaire de la société SFG-SAU hébergé à la BIG (Banque Islamique de Guinée). Ce qui, pour beaucoup de spécialistes interrogés par Mediaguinee, n’est rien d’autre qu’un « détournement de fonds publics ». Pourquoi ? Allez savoir.
Selon nos indiscrétions, l’application du BESC aux minerais exportés en novembre 2022, a suscité de nouveaux appétits et pourrait accélérer le processus de résiliation alors que Catalyst avait publié dans une étude complète sur l’ensemble des ports et sociétés minières guinéennes une hausse significative des recettes publiques et des investissements et recrutements importants.
Que risque la Guinée ?
Avec ce nouveau dossier, la Guinée risque un autre procès devant la Cour commune de justice et d’arbitrage d’Abidjan (CCJA). Elle qui est régulièrement trimballée devant les tribunaux comme un vulgaire personnage pour non-respect de ses engagements contractuels.
Et dire que le président de la transition colonel Mamadi Doumbouya avait réitéré avec fermeté que les fonds publics soient domiciliés à la BCRG, il y a forcément matière à développer.
Noumoukè S.
Last modified: 13 mars 2023